L’ « autre Europe » et l’avertissement de François Mitterrand Par Florent SARDOU

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François Mitterrand, président de la République française et président en exercice du Conseil, montre un passeport européen
Nuestro Columnista Florent Sardou, en su lengua materna y desde Chile ve en panorámica la UE en sus contradicciones y la pérdida de pasos políticos seguros. Con la visión histórica que lo caracteriza, nos remonta al período del ingreso de cuatro países del Este Europa: Hungría, República Checa, Eslovaquia y Rumania, ahora agrupados bajo Visegrad. Florent, nos recuerda a su presidente, Mitterrand, quien advirtió los riesgos de estas rápidas adhesiones pero nadie lo escuchó. Todo, en ese momento, se podía hacer rápidamente. Y se hizo. Ahora, frente a la crisis, al interno de los países europeos, crisis en la gestión europea, se corren graves riesgos. La política es importante y sólo la voluntad política permite la realización de las grandes ideas, es decir, cuando las personas se comprometen en realizar grandes obras que el dinero no puede proporcionar. ¿Volverá a recuperar la UE su fuerza propulsora de creer y hacernos creer en un verdadero proyecto europeo?

Mardi 22 septembre, les dirigeants de l’Union Européenne se sont mis d’accord sur la répartition de 120 000 réfugiés. Seuls quatre pays s’y sont opposés : la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Roumanie. Comme depuis le début de la crise des réfugiés, les gouvernements des pays membres du centre et de l’est de l’Europe (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne, Roumanie et Bulgarie) constituent le principal obstacle au moment de trouver une solution commune. Leurs positions semblent fort éloignées des principes de l’Union, et en particulier celui de solidarité. Et ceci à tel point qu’ils autorisent la construction de murs pour empêcher le passage de leurs frontières et n’hésitent pas à criminaliser les migrants. Ces derniers mois, de nombreux dirigeants européens (Matteo Renzi, Laurent Fabius, Donald Tusk, Thomas de Maizière) ont ouvertement critiqué leurs homologues de l’Est, lesquels n’hésitent pas à répondre avec violence. Ainsi, le Premier ministre slovaque Robert Fico a affirmé le 22 septembre qu’il s’opposerait à la décision en la qualifiant de « diktat » et son homologue hongrois, Victor Orban, l’a soutenu le lendemain, disant refuser « l’impérialisme moral » de la chancelière allemande, Angela Merkel.

Mais pourquoi existe-t-il cette différence entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est ? Lorsque, le 1er mai 2004, huit Etats de l’Europe centrale et orientale furent intégrés à l’Union Européenne, cet élargissement fut considéré par tous comme un triomphe du projet communautaire. Pour la première fois, l’Union comptait en son sein d’anciens pays satellites de l’Union Soviétique. Pour la première fois, elle n’était plus un « club occidental » et l’ambition de pouvoir convertir l’Union Européenne en puissance géopolitique était plus que jamais justifiée. Mais aujourd’hui, l’attitude de ces pays dans la crise des réfugiés déçoit profondément de nombreux responsables politiques européens, qui se lamentent d’avoir rendu possible une si rapide intégration. L’ambition était grande : faire en sorte que des Etats récemment revenus à la démocratie (entre 1989 et 1991), pays socialistes durant quatre décennies, puissent réaliser en seulement 15 ans les étapes d’une intégration qui avait pris 40 ans pour les pays fondateurs du projet européen. Peu nombreux ont été à ce moment là les hommes d’Etat qui réfléchirent avec lucidité sur les conséquences d’une trop rapide ouverture vers l’Est.

Handshake between Viktor Orbán, on the left, and Jean-Claude Juncker
Handshake between Viktor Orbán, on the left, and Jean-Claude Juncker

Austrian European Commissioner for regional politics, Johannes Hahn (C) and Bulgarian Prime Minister Boyko Borisov(R) walk during an inspection of the constructions of the Calafat-Vidin bridge on Danube river between Bulgaria and Romania on October 24, 2012.
Austrian European Commissioner for regional politics, Johannes Hahn (C) and Bulgarian Prime Minister Boyko Borisov(R) walk during an inspection of the constructions of the Calafat-Vidin bridge on Danube river between Bulgaria and Romania on October 24, 2012.

Nouveaux Etats, identités incertaines, sociétés fragiles et conséquences politiques
Cette rapide intégration a provoqué de sérieux dysfonctionnements pour un projet qui n’est pas seulement économique mais surtout (tout du moins à ses débuts) une ambition politique, qui se doit de partager des valeurs communes : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme. Le traité de Lisbonne affirme que « la société européenne se caractérise par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (article 1 bis). Sur le plan économique, l’intégration fut un succès (il suffit de lire les statistiques d’Eurostat pour se rendre compte du rattrapage économique de l’Europe de l’Est). L’intégration institutionnelle a également fonctionné. Pourtant, l’évolution des mentalités et des sociétés nécessite plus de temps et ce phénomène explique en grande partie l’incompréhension qui sévit entre pays de l’Ouest et de l’Est.

Discussion between Robert Fico, Slovak Prime Minister, on the right, and Federica Mogherini
Discussion between Robert Fico, Slovak Prime Minister, on the right, and Federica Mogherini

Pour de nombreux spécialistes de l’Europe centrale et orientale, le grand clivage entre les sociétés occidentales et celles de l’Est réside dans l’acceptation ou non du modèle d’une société pluriculturelle. Bien évidemment, les pays issus de l’ex bloc soviétique ont un parcours historique distinct. L’écroulement du Pacte de Varsovie en 1991, leur a permis de retrouver leur indépendance après avoir été séparés du monde extérieur pendant 40 décennies, enfermés dans le système soviétique. Jeunes Etats démocratique, ceux-ci ont développé une conscience aiguë de leur fragilité. Et sont devenus ainsi particulièrement susceptibles sur d’éventuelles atteintes à leur souveraineté. Leurs frontières ont souvent changé en moins d’un siècle et leur intransigeance à les contrôler est une manière de revendiquer leur existence et, en définitive, leur survie. Les pays de l’Est se caractérisent aussi par une virulente affirmation de leur identité nationale puisque celle-ci a été dévaluée et fragilisée pendant longtemps. Les sociétés de ces Etats sont homogènes et ont en outre une faible expérience d’intégration, et tout spécialement avec des non-Européens. Elles voient avec angoisse les tensions qui agitent les sociétés multiculturelles de l’Ouest (terrorisme, tensions communautaire etc.). Ce n’est pas un hasard si dans ces pays les partis politiques nationalistes, conservateurs et populistes aient tant de succès. En Pologne, le second parti politique est Loi et Justice, un parti eurosceptique et très conservateur. En Hongrie, on trouve Jobbik, un parti d’extrême-droite ultranationaliste, raciste antisémite et néonazi. Il constitue la deuxième force politique du pays, derrière le FIDESZ, le parti populiste, nationaliste et conservateur du Premier ministre Viktor Orban. En Slovaquie, le Parti National Slovaque représente 5 % des votes et le Premier ministre, Robert Fico, est un farouche opposant aux quotas pour accueillir les réfugiés. En Bulgarie, le chef du gouvernement Boïko Borisov, conservateur, est un défenseur de l’Eglise orthodoxe qui, vendredi 25 septembre, a annoncé s’opposer à tout nouvel accueil de réfugiés. Ce même jour, Borisov avait ajouté : « J’ai peur… Nous sommes chrétiens, ils sont musulmans ». En Roumanie enfin, le président, Klaus Iohannis, appartient au Parti National Libéral. Ces sociétés n’ont pas confiance dans le modèle interculturel et conçoivent avant tout l’Europe comme un espace culturel avec le christianisme comme socle. Cette vision est bien distincte de celle de l’Union Européenne, qui se revendique un espace multiculturel soudé par des valeurs communes. Les pays de l’Est constituent donc l’ « autre Europe », différente, ce que démontre avec clarté l’existence du « Groupe de Visegrad ». Cette alliance informelle qui regroupe la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie a pour mission de défendre les intérêts de ces pays au sein de l’Union Européenne.

Face à cette fracture au sein de l’Union Européenne, face à cette crise identitaire, il peut être utile de sortir des oubliettes de l’Histoire la solution que proposait l’ancien Président de la République française François Mitterrand le 31 décembre 1989. En plein écroulement de l’Empire soviétique et soucieux d’éviter une possible renaissance des égoïsmes et nationalismes en Europe, François Mitterrand était aussi mu par la volonté de continuer et d’approfondir la construction européenne.

L’avertissement de François Mitterrand
La France, mais en réalité François Mitterrand, voyait avec une certaine préoccupation une adhésion rapide des pays de l’Est. Selon lui, et la suite lui a donné raison, cette intégration pouvait empêcher une plus ample union au sein de la Communauté. Pour Mitterrand, multiplier les Etats Membres empêcherait le développement d’une union politique, transformant la Communauté européenne en simple zone de libre-échange. L’idée du président français, originale et peut-être visionnaire, surgit le 31 décembre 1989, lors de ses traditionnels vœux télévisés à la Nation. Face à sa crainte que l’adhésion des pays de l’Est puisse ne pas pouvoir avoir lieu « avant des dizaines et des dizaines d’années » (interview à Radio France Internationale le 12 juin 1991), il propose une idée alternative. Créer, à côté de la Communauté Economique Européenne (CEE) une Confédération européenne, une nouvelle structure qui regrouperait tous les Etats du « Vieux Continent », y compris l’URSS de Gorbatchev. L’idée fit son chemin et les 13 et 14 juin 1991 étaient organisées les « Assises de Prague » afin de lancer le projet. Pourtant, le président tchécoslovaque, Vaclav Havel, s’opposa à la proposition française en affirmant que la priorité des pays de l’Europe centrale et orientale était d’abord d’intégrer la CEE. Il réaffirma l’importance de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, l’OTAN (« elle restera pendant longtemps le principal pilier de la défense européenne ») et des Etats-Unis. A cette réticence s’ajoutèrent les oppositions des américains, des britanniques et même des allemands : la proposition de Mitterrand était mort-née. A la lumière des événements actuels, il est possible de penser que le refus de cette initiative fut à la fois un coup dur porté au processus d’intégration politique et militaire dans la CEE mais aussi au développement d’une relation de confiance avec ses voisins. La CEE accueillit en son sein des pays qui cherchaient avant tout la sécurité et la prospérité économique mais sans aucune vocation européiste. Les conséquences semblent évidentes: l’ « Europe compétitive » (avec le marché commun) a pris le dessus sur  l’ « Europe solidaire » (intégration politique).

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Comme en 1989, l’Europe est en danger. Un monde se termine. Le « Vieux Continent » est secoué par une multiplication de crises internes et externes (Ukraine, crise économique, terrorisme, Grèce, indépendantisme catalan, la crise des réfugiés et le possible « Brexit ») qui affaiblissent sa cohésion et va jusqu’à mettre en danger sa survie, en tout cas sous sa forme actuelle. Pour faire face à ces défis, quelques responsables politiques parlent de la nécessité de créer une « avant-garde » de l’Union Européenne, plus solidaire et plus intégrée et qui serait dotée d’un budget commun, d’une union fiscale et de politiques communes (défense, politique extérieure, immigration, droit d’asile etc…). Plus que jamais il est urgent que surgissent des hommes d’Etat capables de concrétiser l’idée esquissée par Mitterrand: trouver un chemin original et réaliste afin d’empêcher la paralysie ou l’éclatement de l’Union Européenne et de restaurer la paix sur le continent. « La géopolitique de l’Europe a besoin d’une théorie des ensembles » disait François Mitterrand en septembre 1991 au journal Le Monde.